SUIVEZ-NOUS

DOSSIERS ET ANALYSES

Le Cœur d’une Type E : Comment le moteur XK a transformé la Jaguar Mark 2 en bête de course

La Jaguar Mark 2 est devenue une « bête de course » grâce à une transplantation stratégique : l’intégration du moteur XK de 3,8 litres, le même bloc DOHC (double arbre à cames en tête) qui animait les voitures victorieuses au Mans et la légendaire Type E. Avec 220 ch, une technologie de course exotique pour l’époque et des freins à disque Dunlop, cette berline de luxe surpassait toutes ses rivales en performance (0-100 km/h en 8,5s), inventant de fait le segment de la « super-berline » moderne.

Publié

sur

Lorsque nous regardons une Jaguar Mark 2 aujourd’hui, nos esprits s’égarent vers une imagerie de luxe suranné. Nous voyons la ronce de noyer, épaisse et brillante comme du caramel figé. Nous sentons le cuir Connolly, un parfum de club de gentlemen londonien. Nous admirons les courbes félines de la carrosserie, une sculpture de Sir William Lyons qui semble avoir été conçue pour glisser d’une maison de campagne à une réception à Mayfair.

Cette voiture, c’est la « Grace » et le « Space ».

Publicité

Mais nous oublions le troisième terme. Le plus important. Le « Pace ».

La Jaguar Mark 2, dans sa version 3,8 litres, n’était pas un salon roulant. C’était un cheval de Troie. Une berline à l’apparence respectable qui dissimulait les entrailles, la fureur et la technologie d’une pure voiture de course. Son design sensuel n’était pas une parure, c’était un camouflage.

Publicité

Le secret de cette duplicité, le catalyseur qui a transformé un véhicule de notable en l’arme de choix des pilotes de course et des braqueurs de banque, n’est pas son châssis, ni ses boiseries. C’est son moteur : le légendaire « XK ». Le même bloc, avec la même architecture, qui propulsait les Type C et Type D à la victoire au Mans, et qui allait bientôt immortaliser la Type E.

Ceci n’est pas l’histoire d’une berline rapide. C’est l’autopsie de la naissance de la « super-berline » moderne, née d’une transplantation cardiaque audacieuse.

Publicité

Le Mythe XK : Une Révolution en Fonte

Pour comprendre la Mark 2, il faut d’abord comprendre le moteur qui l’anime. L’ingénierie d’après-guerre était largement dominée par des moteurs à soupapes en tête (OHV), des blocs fiables mais « agricoles », limités en régime et en efficacité respiratoire.

L’ingénieur en chef de Jaguar, William Heynes, avec ses lieutenants Walter Hassan et Claude Baily, visait autre chose. Ils ne voulaient pas d’une évolution ; ils voulaient une révolution. Lancé en 1948 dans la XK120, le moteur XK était un chef-d’œuvre de technologie.

Sa spécification clé ? Double arbre à cames en tête (DOHC).

Publicité

À l’époque, c’était une technologie exotique, réservée aux machines de Grand Prix d’Alfa Romeo ou de Ferrari. Le concept était de permettre aux soupapes d’admission et d’échappement d’être actionnées directement et avec une précision absolue, permettant au moteur de « respirer » à haut régime sans l’inertie des tiges de culbuteurs. Ajoutez à cela des chambres de combustion hémisphériques pour une combustion optimale, et vous aviez un bloc capable de produire une puissance massive tout en restant incroyablement robuste.

Ce moteur n’était pas une théorie. Il a été forgé dans la plus grande épreuve d’endurance au monde. Il a propulsé la Type C à la victoire aux 24 Heures du Mans en 1951 et 1953. Il a évolué pour propulser l’aérodynamique Type D à une domination quasi totale, remportant Le Mans en 1955, 1956 et 1957.

Publicité

Quand la Mark 2 a été lancée en 1959, ce moteur n’était pas seulement un argument de vente. C’était un pedigree.

La silhouette de la Mark 2 : une étude de courbes tendues par Sir William Lyons. Une apparence de « Grace » et « Space » qui dissimulait une puissance de « Pace » inégalée.

1959 : La Fusion de la Soie et de l’Acier

La Mark 2 (une évolution de la Mark 1 de 1955) était déjà une belle voiture. Lyons avait affiné le design, augmentant la surface vitrée de 18% pour créer cet habitacle aérien et améliorer la visibilité.

Elle était proposée avec des moteurs XK de 2,4 litres et 3,4 litres. Des voitures rapides, certes. Mais la direction de Jaguar a pris une décision qui a fait basculer l’histoire. Ils ont décidé de loger au chausse-pied la version la plus puissante du moteur XK, le nouveau bloc de 3,8 litres (3781 cm³), sous ce capot bombé.

Publicité

Ce n’était pas n’importe quel 3.8L. C’était la spécification qui allait être utilisée dans la XK150 ‘S’ et, deux ans plus tard, dans la Type E.

Le résultat fut sismique.

Publicité

La berline de luxe, pesant environ 1 500 kg, se retrouvait propulsée par 220 chevaux (bhp) et un couple prodigieux. Les chiffres de l’époque sont éloquents : le 0 à 100 km/h était abattu en environ 8,5 secondes. La vitesse de pointe dépassait les 200 km/h (125 mph).

En 1959, ces chiffres n’étaient pas ceux d’une berline. C’étaient les chiffres d’une Ferrari ou d’une Aston Martin. Une Mercedes-Benz 220SE « Fintail » contemporaine, l’apogée de l’ingénierie allemande, peinait à produire 120 chevaux. Une Rover P5, summum du confort britannique, en offrait 115.

Publicité

La Mark 2 3.8L n’avait pas de rivale. Elle n’était pas dans la même catégorie. Elle n’était même pas sur la même planète.

La Supériorité du Double Arbre à Cames (DOHC)

Pour visualiser pourquoi le moteur XK était si radicalement différent d’un moteur de berline standard de l’époque, examinons la différence architecturale fondamentale.

Publicité

Moteur Standard (OHV Pushrod)

Problème : L’arbre à cames (bleu) est dans le bloc. Il doit pousser de longues tiges (oranges), qui basculent des culbuteurs (noirs), pour enfin ouvrir les soupapes (rouges). C’est lourd, indirect et limite le régime moteur.

Moteur Jaguar XK (DOHC)

Solution : Les arbres à cames (bleu) sont au-dessus de la tête (DOHC). Ils actionnent les soupapes (rouges) presque directement. Moins d’inertie, plus de précision, une « respiration » moteur supérieure et des régimes bien plus élevés.

Publicité

L’Anatomie de la Bête de Course

La puissance seule ne fait pas une voiture de course. Elle fait un « muscle car » américain, brutal en ligne droite, mais incapable de négocier un virage. Jaguar le savait. La Mark 2 était un ensemble cohérent, où chaque composant de performance était un héritage direct de la compétition.

Le plus crucial : le freinage. Mettre un moteur de 220 ch dans une berline de 1,5 tonne en 1959 aurait été un acte criminel sans une innovation majeure : les freins à disque Dunlop.

Publicité

Jaguar et Dunlop avaient perfectionné les freins à disque sur les circuits du Mans avec la Type C. Ils ne surchauffaient pas comme les tambours, offraient une puissance d’arrêt constante et fonctionnaient même sous la pluie. La Mark 2 les adopta en série sur les quatre roues. Elle ne pouvait pas seulement accélérer comme une Type E ; elle pouvait (presque) freiner comme elle.

Le châssis monocoque, hérité de la Mark 1, offrait une rigidité que peu de rivales possédaient. Certes, sa suspension arrière était un archaïque essieu rigide avec des ressorts à lames, mais c’était un essieu rigide maîtrisé. Avec une voie arrière élargie par rapport à la Mark 1 et un différentiel à glissement limité Powr-Lok en option, la 3.8L pouvait transmettre sa puissance au sol.

Publicité
Le cœur de la bête. Le même bloc DOHC de 3,8 litres qui animait la Type E, offrant 220 ch dans un écrin de luxe.

Le Terrain de Jeu : Circuits et Rues

Cette combinaison d’un moteur de course, de freins de course et d’un châssis rigide a eu deux conséquences immédiates et légendaires.

1. La Domination en Piste :

Le « British Saloon Car Championship » (le futur BTCC) est devenu le jardin privé de la Mark 2. Des pilotes légendaires comme Graham Hill, Roy Salvadori et Mike Parkes ont fait de la Mark 2 une icône des circuits. Les images de ces grosses berlines, en appui sur trois roues, l’avant intérieur décollé du sol, glissant avec grâce d’un virage à l’autre tout en distançant les petites Minis et les Alfas, sont gravées dans l’histoire.

La Mark 2 n’était pas délicate. C’était un « brawler », un bagarreur. Elle utilisait son couple massif pour sortir des virages et sa puissance pure pour dominer les lignes droites. Elle a forcé les concurrents à repenser totalement leur approche de la course de berlines.

Publicité

2. L’Arme des Malfrats :

La même fiche technique qui la rendait imbattable sur piste la rendait parfaite pour une autre profession : le braquage de banque.

Dans l’Angleterre du début des années 60, la Mark 2 3.8L était la voiture la plus rapide sur la route, point final. Elle pouvait transporter cinq hommes et leur butin (« Space ») dans un confort absolu (« Grace ») et distancer n’importe quelle voiture de police (« Pace »). Les forces de l’ordre, souvent équipées de Wolseley ou, ironiquement, de Mark 2 en spécification 2.4L moins puissante, n’avaient aucune chance.

Publicité

La Mark 2 est devenue la « Getaway Car » par excellence, cimentant son statut de légende culturelle. Elle était la voiture des héros et des anti-héros.

La « Grace » en action. Les Mark 2 dominaient les courses de berlines, pilotées à la limite par des légendes comme Graham Hill, prouvant que le moteur XK était aussi à l’aise sur circuit que sur route.

L’Héritage du Transplant

Le geste de Jaguar n’était pas anodin. En refusant de réserver son meilleur moteur à ses voitures de sport exclusives, Jaguar a créé un précédent. La Mark 2 a établi le schéma directeur de la « super-berline » moderne, une recette que BMW M, Mercedes-AMG et Audi RS utilisent encore aujourd’hui :

  1. Prenez une carrosserie de berline de série.
  2. Insérez-y le moteur le plus puissant et le plus sophistiqué de votre division sport.
  3. Améliorez les freins et les suspensions pour qu’ils soient à la hauteur.
  4. Conservez l’intérieur luxueux.

La BMW Neue Klasse, puis la première M5, sont des descendantes directes de cette philosophie. La Mercedes 300 SEL 6.3 de 1968 (une limousine avec un V8 de voiture de sport) est une copie conforme de la stratégie Mark 2, version teutonne.

L'intérieur luxueux de la Jaguar Mark 2, avec ses boiseries en ronce de noyer et son instrumentation complète.
Le poste de pilotage. Un mélange de luxe de club anglais et d’instrumentation de voiture de sport. Le tachymètre et le compteur de vitesse (gradué à 140 mph) rappelaient au conducteur la puissance du moteur XK à sa disposition.

Le Verdict Final

La Jaguar Mark 2 aurait-elle été une belle voiture sans le moteur XK ? Assurément. Elle serait restée une icône du style des années 60, un exemple parfait de la maîtrise de Lyons.

Mais elle n’aurait été qu’une belle voiture.

Publicité

C’est la transplantation du cœur de la Type E qui l’a animée. Le bloc XK, avec son pedigree du Mans et son architecture de course, a insufflé à cette berline polie une âme sauvage, voire violente. Il lui a donné une double personnalité : d’un côté, la « Grace » de l’aristocratie ; de l’autre, le « Pace » d’une bête de course.

Le design de la Mark 2 a séduit les yeux. Mais c’est le rugissement de son moteur à double arbre à cames qui a capturé l’imagination, défini un genre et assuré sa place dans l’éternité. La Type E a peut-être été l’affiche sur le mur, mais la Mark 2 3.8L fut la véritable révolution dans la rue.

Publicité
Continuer la lecture
Publicité
Cliquez pour commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

EDUARDO BENZ DESIGN

Tendances